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Pierre Tevanian
La mécanique raciste
Editions Dilecta (2008)
 
Tout le monde ou presque en France est antiraciste. Et pourtant les discriminations racistes se perpétuent, de génération en génération, dans des proportions massives... et une remarquable indifférence. C’est dans ce paradoxe que s’ancre la réflexion de Pierre Tevanian.

À rebours des discours convenus de l’antiracisme d’Etat, qui réduisent complaisamment l’oppression raciste à un réflexe naturel et compréhensible de peur de l’autre, il souligne le caractère social et systémique du racisme français, et son enracinement dans notre culture : loin d’être naturel, le racisme est une production culturelle, et loin d’être une pathologie individuelle, qui ne concernerait que quelques extrémistes, il traverse toute la société, sous des formes plus ou moins distinguées, adaptées à tous les univers sociaux et à toutes les sensibilités politiques.

A l’heure où le passé colonial, le présent postcolonial et la question des minorités visibles font un retour violent dans le débat public, La mécanique raciste remonte à la racine du problème et en mesure tout l’enjeu : non pas l’intégration, le vivre-ensemble et autres mascottes de l’antiracisme d’Etat, mais ni plus ni moins que l’égalité de traitement.

En voici l’introduction :

L’engagement dans différentes luttes politiques [1] m’a, ces dernières années, amené à rencontrer et combattre le racisme sous diverses formes et à l’envisager sous des angles divers : comme concept, comme percept et comme affect [2].

Le racisme est en effet une réalité complexe et multiforme, qui peut être appréhendée à la fois comme

- un corpus théorique, un édifice conceptuel, une conception du monde ;

- un rapport aux autres, une manière de percevoir l’autre, sa présence, son corps, sa parole ;

- un rapport à soi, un choix de vie, une manière d’être affecté et de vivre cette affection.

Le racisme comme concept

Envisagé sous l’angle de la logique, le racisme se caractérise par plusieurs opérations, dont la combinaison produit une conception du monde, une philosophie, une idéologie qui, à défaut d’être pertinente et estimable, possède une cohérence relative [3] :

- la différenciation, c’est-à-dire la construction mentale d’une différence sur la base d’un critère choisi arbitrairement (la race, la culture, la religion, la couleur de peau…) ;

- la péjoration de cette différence (sa transformation en stigmate, c’est-à-dire en marqueur d’infamie ou d’infériorité) ;

- la focalisation sur ce critère et la réduction de l’individu à son stigmate (quiconque est – entre autres choses – noir, arabe, musulman ou juif, devient « un Noir », « un Arabe », « un Musulman », « un Juif », et chacun de ses faits et gestes trouve son explication dans cette identité unique) ;

- l’essentialisation, l’amalgame, autrement dit : l’écrasement de toutes les différences d’époque, de lieu, de classe sociale ou de personnalité qui peuvent exister entre porteurs d’un mêmes stigmate (« les Noirs », « les Arabes », « les musulmans » ou « les Juifs » sont « tous les mêmes ») ;

- la légitimation de l’inégalité de traitement par la moindre dignité des racisés (ils « méritent » d’être exclus ou violentés en tant qu’inaptes ou dangereux) [4].

Pour résumer, le racisme est, sur le plan logique et idéologique, une conception particulière de l’égalité et la différence, une manière d’articuler ensemble ces deux concepts sur un mode particulier : celui de l’opposition radicale. Pour le dire plus simplement encore, le racisme est sur le plan conceptuel l’incapacité de penser ensemble l’égalité et la différence. C’est à cette incapacité – et à sa déconstruction – qu’est consacré le premier chapitre de ce livre.

Le racisme comme percept

Mais le racisme n’est pas qu’une théorie. Comme toute idéologie, il s’insinue partout et se répercute directement dans la pratique en orientant, informant, construisant notre perception du monde extérieur. Il construit en particulier notre perception du corps de l’autre, ou plus précisément la différence entre notre perception des « autres ordinaires » – appréhendés, sans a-priori négatif, comme des êtres singuliers inconnus – et notre perception de « certains autres », « plus autres que les autres » : les racisés – appréhendés au contraire comme des exemplaires interchangeables d’une série déjà connue, et à ce titre identifiés a-priori comme méprisables, redoutables ou repoussants. En même temps qu’une logique qui pose l’égalité et la différence comme antinomiques, le racisme est donc une esthétique, au sens où l’entend Jacques Rancière : une certaine manière de sentir – et de ne pas sentir [5]. C’est à cette esthétique raciste qu’est consacré le second chapitre de ce livre, et à la manière dont elle « fait exister » les racisés comme des « corps d’exception » invisibles, infirmes, ou « furieux ».

Le racisme comme affect

Enfin, le racisme n’est pas seulement une manière de penser l’altérité et une manière de sentir l’autre : c’est aussi une manière de se sentir et de se penser. En même temps qu’un rapport au monde et aux autres, c’est un certain rapport à soi. Sartre l’a souligné avec force dans son analyse de l’antisémitisme : adhérer au racisme, c’est non seulement adopter une certaine opinion sur les Noirs, les Arabes ou les Juifs, mais aussi se choisir soi-même comme personne [6]. S’il y a dans le racisme une part de choix individuel, elle réside moins dans le choix de la cible – construite et mise à disposition par la collectivité, en fonction d’enjeux socio-historiques, et simplement reçue en héritage par l’individu [7] – que dans le choix préalable d’un certain mode de vie – et donc d’un certain personnage, d’un certain rôle pour soi-même. Le choix d’une « vie raciste », qu’on peut résumer par le mot privilège. Saisir la perche que nous tend une société, un État, une culture, une tradition racistes, choisir de mépriser, redouter ou détester les Juifs, les Noirs ou les Arabes, c’est en effet choisir pour soi-même la position enviable du « Blanc », de l’ « Aryen », du « vrai Français », bref :

- de celui qui, en infériorisant le groupe racisé, peut se vivre comme supérieur ;

- de celui qui, en l’accusant de tous les maux, peut du même coup s’en innocenter ;

- de celui qui, en choisissant l’aveuglement et les « raisonnements passionnels », échappe du même coup au doute, à l’incertitude, et à l’effort incessant vers le vrai ;

- de celui qui, en s’appuyant sur une discrimination systémique, accède plus facilement à des positions sociales dont sont exclus d’office les discriminés [8].

Pour le dire plus vite encore, le racisme est, sur le plan éthique, le choix d’adhérer à un certain rôle et de jouir d’une certaine position sociale : celle du dominant. C’est à cette question éthique qu’est consacré mon dernier chapitre. J’y aborde la question « Que faire face au racisme ? » du seul point de vue qui m’est accessible : le mien – celui d’un blanc qui occupe, dans les « rapports de race » tels qu’ils sont socialement construits dans notre république postcoloniale, la place du dominant.

Il manque donc un chapitre dans ce livre, que je ne suis par définition pas en mesure d’écrire : celui qui décrirait les multiples manières dont les concepts, percepts et affects racistes font système, alimentent une oppression, se manifestent sous forme d’actes – regards, paroles, discriminations – et sont de ce fait vécus, endurés, affrontés par celles et ceux qui les subissent. Ce chapitre, ce sont elles et eux – les racisé-e-s, les stigmatisé-e-s, les discriminé-e-s, les corps d’exception – qui l’écrivent, sous forme de livres, mais aussi de journaux, de tracts, de banderoles, de chants et de bien d’autres canaux d’expression [9].

___

La mécanique raciste est paru aux éditions Dilecta en septembre 2008. 128 pages, 10 euros.

Table des matières :

1. Égalité e(s)t différence

2. Le corps d’exception et ses métamorphoses

3. La question blanche

4. En finir avec l’antiracisme d’État

Annexe : Une discrimination systémique. Quelques données chiffrées.

Notes

[1] En particulier les luttes de sans-papiers, les luttes anti-sécuritaires (menées notamment par le Mouvement de l’Immigration et des Banlieues), l’opposition à la loi sur le voile (menée par le Collectif Une école pour tou-te-s), et les controverses publiques sur l’islamophobie et sur l’héritage colonial (déclenchées notamment par l’Appel des Indigènes de la république).

[2] J’emprunte ces trois notions à Gilles Deleuze et Félix Guattari, cf. Qu’est-ce que la philosophie ?, Editions de Minuit, 1992

[3] Par cohérence relative j’entends que des contradictions logiques peuvent assez facilement être relevées dans les discours racistes, même s’il existe toute une casuistique assez sophistiquée, qui s’évertue à les résoudre ou les dissoudre. Sartre relève notamment deux grandes contradictions dans ses Réflexions sur la question juive : d’une part la fusion en un même « mauvais objet » du « sous-homme » qu’on méprise et du « malin génie » qu’on redoute ; d’autre part la combinaison entre un déterminisme absolu, niant toute possibilité pour l’individu d’échapper à son destin racial ou culturel, et une incrimination des racisés qui présuppose leur pleine et entière responsabilité, et donc une pleine et en entière liberté, dans les méfaits qu’on leur impute. Cette analyse, que Sartre présente explicitement comme généralisable à tous les racismes, vaut effectivement autant pour l’islamophobie contemporaine que pour l’antisémitisme des années 1930-1940. La jeune musulmane voilée a par exemple été présentée, ces dernières années, parfois au sein d’un même discours, comme étant à la fois coupable et victime, libre et aliénée : elle n’a rencontré qu’incrédulité et moqueries lorsqu’elle affirmait avoir choisi librement de porter le voile, et on a postulé, derrière chacune de ses paroles, la présence d’un tuteur masculin (« imams », « grands frères », « barbus »), mais on lui a reconnu in extremis une pleine et entière liberté de choix lorsqu’il s’agissait de la juger et de la réprimer, et on a alors expliqué que la lycéenne qu’on venait d’exclure définitivement avait « choisi elle même de garder son voile et donc de se faire exclure ».

[4] Ces différentes caractéristiques formelles du racisme ont déjà été mises en évidence et analysées notamment par Jean-Paul Sartre (Réflexions sur la question juive, Gallimard, 1946), Albert Memmi (Portrait du colonisé et Le racisme, Folio Actuel, 2002) et Colette Guillaumin (L’idéologie raciste, Folio Actuel, 2003).

[5] Cf. Jacques Rancière, La mésentente, Galilée, 1995 et Aux bords du politique, Folio Essais, 2004

[6] Cf. Jean-Paul Sartre, Réflexions sur la question juive, Premier chapitre, Folio essais, 1946

[7] « Le Juif n’est ici [dans le cas de l’antisémitisme] qu’un prétexte, ailleurs on se servira du nègre, ailleurs du jaune » (Jean-Paul Sartre, op. cit.)

[8] Ces différents bénéfices de la « vie raciste » sont développés par Sartre (op. cit.)

[9] Entre autres (nombreux) exemples, citons les livres de Ralph Ellison, James Baldwin et Frantz Fanon, les productions écrites ou orales de Martin Luther King et Malcolm X ou de mouvements politiques comme les Black Panthers, et toute un pan du rap. Sur la scène française contemporaine on peut citer, là encore sans être exhaustif, les livres de Mogniss Abdallah, Saïd Bouamama, Sadri Khiari, la parole politique du Mouvement de l’immigration et des banlieues et du Mouvement des Indigènes de la république, et les textes d’auteurs de rap comme Casey ou La Rumeur.



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